Le commandant du bataillon Artemivsk: Que l’armée soit commandée par des commandants qui savent déjà ce qu’est la guerre.

Par Mustafa Nayyem
lundi 30 juin 2014  Ukrainska Pravda
Photo de Mustafa Nayyem, Ukrainska Pravda

Le commandant du bataillon « Artemivs’k » Konstantin Matejčenko : la politique c’est la politique, mais la mentalité du Donbass perçoit seulement la fermeté, l’esprit de décision. C’est même encore plus simple : les gens du Donbass comprennent uniquement la force, aussi rude et cynique que cela puisse paraître.

… notre véhicule s’est arrêté à un barrage routier. Tout autour on aperçoit un champ et un étroit chemin de terre, le long duquel s’étend lasombre « Zelenka », une plantation d’arbres étroite et dense.

Le conducteur a abaissé sa fenêtre et a dit un seul mot: « Claudius ». Le garde a transmis par radio, la confirmation a été reçue, et nous sommes passés vers block-post suivant.

« Claudius » est assis à proximité, sur la banquette arrière et contemple les journalistes avec intérêt. Dans le civil, le commandant du bataillon « Artemivsk » est le chef de l’administration du district de Krasny Liman et s’appelle Konstantin Matejčenko. Il est devenu combattant et fonctionnaire il y a seulement trois semaines, juste après la libération de Krasny Liman.

Matejčenko est du coin, il est né à Konstantinovka, il a jusqu’à maintenant dirigé la cellule régionale du parti Batkivchtchina [la Patrie, le parti de Youlia Timoshenko, NDT] de Donetsk. Lors des dernières élections
législatives, le futur combattant était candidat à Artemivsk dans la 46e circonscription électorale mais il a perdu l’élection.

C’est une autre personne qui est devenue député : Sergey Kluyev, pour lequel, selon les chiffres officiels, 73 % des habitants de la circonscription ont voté pour lui. Cependant, aujourd’hui, ces résultats n’intéressent plus
grand monde : Artemivsk est occupé, son député siège au Parlement et les forces de l’ATO se préparent à une opération de grande envergure.

Nous avons rencontré le commandant d’« Artemivsk » la veille de la trêve, non loin de l’état-major de l’ATO. L’interview a été enregistré dans la voiture, pendant le trajet entre les block-postes.

– En fait vous considérez-vous comme un militaire ?

– J’ai terminé l’école militaire et obtenu la médaille d’or. Et après huit mois de commandement d’un peloton on m’a donné toute une compagnie. À ce moment-là, les soldes dans l’armée ukrainienne n’étaient pas versées, aucun
véhicule n’avait d’essence, plus rien. Mais moi je voulais vivre normalement : j’ai une famille, des enfants. Je me suis tourné vers les affaires. Ensuite pendant deux mandats, j’ai été élu maire de village. Mais toute ma vie j’ai été
un militaire. C’était en moi, mais pendant seize ans, je n’ai pas été militaire.

– Quelque chose a-t-il changé une fois que vous êtes devenu commandant de bataillon ?

– Comment vous dire… Après cette nomination, ma maison a complètement brûlé. J’ai dû évacuer ma famille, mes parents. On m’a récemment invité à une réunion du Président avec les représentants de l’Est, mais je ne pouvais pas trouver de costume. Je n’en ai pas tout simplement.

Maintenant toute ma famille est dispersée comme réfugiée dans toute l’Ukraine. Je n’ai rien à perdre. Mais d’un autre côté, c’est plus facile pour se battre. Je vais tailler en pièces ces dégénérés jusqu’au dernier. Pensez
donc : hier mon père est mort, et moi je ne peux pas aller à son enterrement ! Bien qu’il soit à Artemivs’k, à 50
km de là. Et qui pourrait après cela penser que j’ais encore un doute ?

– Et que se passe-t-il en ce moment dans votre ville natale, vous avez des nouvelles ?

– Vous savez, mes parents sont parqués derrière Mojaïsk. Au début j’étais même gêné qu’ils aient tous souffert à cause de moi. Mais après un certain temps ça s’est généralisé : ils ont commencé à piller et brûler toutes
les exploitations. Nous avons simplement été les premiers.

Mais maintenant ils pillent et incendient même les Régionnaires [membres du parti des régions NDT] déclarés ! Même ceux qui étaient pour la DNR [Donetskaya Narodnaya Respublika, l’entité séparatiste, NDT]. Ils me
téléphonent et me disent : “Pendant un mois je les ai transportés à tous les block-posts, j’ai failli rester…” Et maintenant ils lui ont simplement pris sa voiture ! Pourquoi A quel titre? Pour excès de vitesse. Ils exploitent
son business.

Hromadske TV Vidéo: Vostok série n ° 11. “Combat.”

– Nous sommes allés à différents points de contrôle, et pratiquement partout, on discute de la trêve actuelle. Comme de bien entendu dans un contexte négatif. Que pensez-vous de ça ?

– Vous savez, en ce qui concerne la trêve de cette semaine il y a des points positifs et des points négatifs. Ce qui est positif c’est ce dont vous parlez. C’est comme une bouilloire, c’est en train de bouillir. Et si ça marche, ce sera
l’explosion comme un bouchon de champagne. Vous comprenez ? Je sens le moral de mon bataillon.

Le deuxième aspect positif est que pendant cette semaine dans les entreprises de Krasny Liman, les gens ont commencé à reprendre le travail. ça devient comique. Ils téléphonent et me demandent : « Qu’est-ce que nous allons faire avec eux ? Ils sont revenus, ils veulent travailler, mais ils ont été à-bas ». Moi j’écoute, je pense qu’il vaut mieux qu’ils travaillent.

Nous l’avons déjà décidé : si quelqu’un n’a pas de sang sur les mains, on l’accueille à bras ouverts. S’il se présente au block-poste, on sert le thé, on le reçoit. C’est vraiment arrivé, je ne mens pas. Je connais personnellement vingt personnes qui pendant la période de la trêve sont revenues de la forêt. Et c’est également un point positif.

Mais voilà la dernière prolongation… Ici, il me semble que les conséquences peuvent être graves.

– Aux points de contrôle près de Sloviansk, on nous a dit que pendant cette semaine les positions ennemies ont été renforcées, des casemates ont été construites, des véhicules ont été amenés… Est-ce que c’est vrai ?

– Je ne vous tromperai pas. Oui, c’est vrai. Dans ma ville natale d’ Artemivsk rien ne s’est passé pendant la trêve, , mais les deux jours derniers,
ils ont compris qu’il pouvait y avoir une attaque, et on a commencé à voir des postes de tir dans les maisons, ils renforcent la zone. C’est la même chose autour de Liman. Mais je vais vous dire ceci : l’armée ukrainienne a
suffisamment de forces et de moyens. J’y crois.

– C’est possible que les forces et les moyens suffisent. Mais les soldats se plaignent des désaccords entre les unités, du manque de coordination. Nous avons été à un barrage routier où personne n’avait avertit
de l’approche de chars, et ils ont presque failli se tirer dessus. Que doit-on faire ?

– Le facteur humain n’a pas été supprimé. Pendant 23 ans nous n’avons pas combattu, nous ne nous sommes pas préparés à la guerre. Et maintenant nous apprenons sur le terrain, dans l’action . Si vous regardez bien, il y a un mois, il n’y avait aucune interaction… maintenant c’est mieux.

Que faire ? Je peux me tromper, mais je vais le dire, c’est cruel, mais la moitié des généraux doivent être virés. Que l’armée soit commandée par des commandants qui savent ce qu’est la guerre. Dans l’armée, que personne ne se voile la face, la plupart des généraux ont obtenu leurs galons pour de l’argent et quant aux échelons intermédiaires ce sont ceux qui n’ont même pas eu l’intelligence de donner de l’argent. Ce n’est pas une blague.

Que voulez-vous faire d’une telle armée maintenant, quand on se trouve dans une situation de combat ? Donnez leur une chance, l’armée ne peut faire autrement : ils apprendront à se battre et à travailler ensemble, il n’y a pas
moyen de faire autrement. Mais il faut du temps.

– Supposons que si la phase active commence demain, combien, selon vous, faudrait-il de temps pour prendre entièrement le contrôle de la situation ?

– C’est difficile à dire ce serait se vanter, parce que je ne connais pas l’ensemble de la situation. Mais mon évaluation est la suivante : si, à Dieu ne plaise, la Russie comprend vraiment toute cette bêtise et qu’elle cesse
de fournir des armes et des hommes, au maximum un mois. Même en tenant compte du fait qu’ils ont déjà été amenés.

Je vois nos forces, leurs ressources et leur moral. (D’ailleurs, je saisis cette occasion pour remercier personnellement Gennady Korban [l’adjoint de Kolomoisky, le gouverneur de Dnipropetrovsk, NDT] pour l’aide apportée à notre bataillon, s’il vous plaît n’oubliez pas d’écrire à ce sujet). Alors, croyez-moi, au maximum un mois.

Le commandant du bataillon « Artemivsk », il est le chef de l'administration du district de Krasny Liman, c’est Konstantin Matejčenko. Photo de Mustafa Nayyem.

Le commandant du bataillon « Artemivsk », il est le chef de
l’administration du district de Krasny Liman, c’est Konstantin Matejčenko. Photo de Mustafa Nayyem.

– Et quelle est l’attitude des habitants de Krasny Liman envers l’armée maintenant ?

Ils sont avec nous. Bien qu’il y ait pas si longtemps tous avaient voté pour la DNR. Ils étaient si convaincus de ce qu’ils entendaient : sur la Russie, sur des salaires plus élevés, qu’ils sont tout simplement allés voter !

En matière d’information nous avions beaucoup perdu. Maintenant, la situation a changé.

Mais vous devez comprendre : voici le chef local de la police, c’est un homme serviable. Quand tout cela s’est passé, et que les séparatistes sont venus ici, il a juste choisi de ne pas aller à contre-courant. De même que le
maire. Ensuite, je l’ai rencontré, il m’a dit : Constantin Vladimirovich, que devais-je faire, j’ai travaillé ici vingt ans, les gens allaient de ce côté là… Maintenant ils sont avec nous et travaillent comme tout le monde.

– Eh bien, mais comment cela se peut-il, aujourd’hui d’un côté, demain de l’autre ? !

– Vous n’êtes tout simplement pas habitué à cela. Les mentalités du Donbass et de l’Ukraine occidentale diffèrent énormément. Il y a un exemple simple que je cite toujours : Est-ce qu’il y a des clôtures en Ukraine
occidentale ? Elles n’existent pas. Et chez nous dans le Donbass, elles font trois mètres.

Ce côté fermé, cette méfiance, les gens vivent dans leur coquille, « ma cabane et mon jardin » cela s’impose constamment. Tous ont peur. Et voici le résultat.

Ou voici un autre exemple. Ma sœur a été obligée de déménager dans la région de Tcherkassy. Le premier jour, elle m’appelle en pleurant : dis Kostya, dans le village, ils nous apportent des pommes de terre, des œufs, de l’argent ! Et ce ne sont pas des gens riches, mais des grand-mères. J’appelle un ami, je lui dis : voilà la situation, ma sœur est là-bas, elle pleure. Et il me dit : Eh bien c’est la première réaction.

Oui, la première réaction. Et chez nous ç’aurait été la une première réaction ? Non. Et je vous le dis, moi un habitant du Donbass, c’est ici que j’ai vécu, je vis et je vivrai.

– Supposons que Petro Poroshenko lise cette interview. Qu’est-ce que vous lui recommanderiez personnellement en tant qu’homme de terrain, sans fioriture?

– Ce que je lui conseillerais ?… Plus de détermination, plus de volonté. La politique c’est la politique, mais la mentalité du Donbass perçoit seulement la fermeté, l’esprit de décision. C’est même plus simple : les gens
du Donbass comprennent uniquement la force, aussi rude et cynique que cela puisse paraître.

La tolérance n’est pas tenue en haute estime. Bon, regardons la vérité en face : Ianoukovitch avait répandu le cancer dans le Donbass, ici les gens s’étaient habitués à lui.

– Écoutez, on peut peut-être changer l’approche, étant donné les conséquences ?

– … Non, attendez une seconde ! Je veux parler de la fermeté et la détermination à l’égard de ces dégénérés. Quand il n’y en aura plus, alors vous devrez vous y prendre autrement. Alors, à ce moment-là, il sera nécessaire de travailler l’information, de changer la psychologie et surtout de balayer les mensonges. Il s’agit déjà d’une autre perspective.

Aujourd’hui encore ce qui tenait la majorité, c’était le mensonge. Les gens sont encore maintenant malades de la DNR, de la LNR. Croyez-moi! Les gens ont simplement compris qui les a conduits dans cette impasse.

Voyons, mettons de l’ordre et demandons aux gens leur opinion. Je pense que oui : toute politique, toutes idées, c’est bon juste en temps de paix et le ventre plein. Et je n’ai aucun doute que même chez nous dans le Donbas la
grande majorité se prononcera en faveur d’une Ukraine unie.

Le commandant du bataillon « Artemivsk » Konstantin Matejčenko : « Je n’ai rien à perdre. Mais d’un autre côté, c’est plus facile pour se battre. Je vais détruire ces monstres jusqu’au dernier. » Photo de Mustafa Nayem.

– En tant que militaire vous ne pouvez pas ne pas comprendre que dans le cas d’activation des opérations il pourra y avoir des victimes parmi la population civile. Cela ne vous freine pas ?

– Je vais vous le dire : le peuple lui-même le comprend. Et les civils qui sont pacifiques, ils viennent de partir. De différentes façons. Et même ceux qui sont restés ont compris l’inévitabilité des victimes.

Mais on ne pourra pas changer la situation autrement, nous ne les sortirons pas de là. Nous ne pouvons pas aller chez ces gens et les convaincre de quelque chose. Ils ne peuvent pas comprendre. Et les mercenaires,
croyez-moi, les gens n’en n’ont pas plus besoin.

Pour localiser cette vermine, il faut de la détermination. C’est mon avis personnel.

– Admettons que vous y parveniez, vous aurez nettoyé les villes et les villages. Mais que faire de ces gens qui soutiennent idéologiquement les séparatistes, ils n’ont pas tous pris les armes, certains se taisent, restent à
la maison et n’iront nulle part, même après la guerre.

– Bien sûr, il y aura obligatoirement 10% environ de gens qui croiront jusqu’à la fin de leurs jours à la Sainte Russie, etc. Mais vous savez comme je dis, pour nettoyer un appartement, il faut d’abord mouiller le chiffon et laver le sol. Tu l’as mouillé, tu l’as nettoyé, ensuite tu peux y disposer tes meubles, et rendre l’endroit joli.

Voyons, nous allons montrer aux gens où se trouve la vérité, le mensonge et nous installerons un ordre légitime, lorsque les gens ne tueront pas dans la rue tout simplement. Demandez aux gens d’Artemovsk et de Donetsk s’ils volent et tuent simplement comme ça, là-bas il n’y a pas nos armées, ni la guerre.

Même ceux qui étaient pour la DNR, maintenant ils disent : Où nous sommes tombés ! Les gens sont juste en état de choc.

– Maintenant, il convient de parler de la participation active des Russes dans cette guerre. Vous personnellement, en tant que commandant de bataillon, avez-vous des preuves réelles qu’ici, dans votre région, il y a ou
il y a eu des Russes ?

– Je ne vous mentirai pas : personnellement, je n’ai pas vu de Tchétchènes. Nous avons saisi un grand nombre d’armes russes. Et encore, je m’entretiens avec la population locale en personne, par téléphone. Ceux qui viennent de là disent qu’il y a de vrais tchétchènes, qu’on entend du dialecte  russe, qu’il y a des armes et des rations séchées. A Slaviansk, ces rations séchées sont distribuées à la population locale, car il n’y a rien à manger. Mais les emballages russes, là, on les brûle.

J’ai vu comment tout a commencé chez nous. Un mois auparavant, les premiers petits groupes de dix personnes locales sont venus, bruyamment ils ont chanté bruyant. Et ceux-ci sont restés dans leurs demeures, leur parler était russe, d’après leur apparence, on voyait que ce n’étaient pas des locaux, il y avait là-bas des Tchétchènes, ils ne parlaient pas comme nous.

– Et est-il vrai que tous ces événements de l’est sont, dans une certaine mesure, financés par la famille du président déchu ?

– Je ne suis pas un caissier et je ne peux pas savoir. Mais pendant quatre années ils ont volé : ça je l’ai vu et j’y crois. Et si tu disais un mot, ou bien on t’emprisonnait, ou bien on te pillait. Et maintenant dites-moi qui est Ianoukovitch en Russie ? Un réfugié. Celui qui a la possibilité de dépenser cet argent ? Non. Maintenant il suffit de poursuivre sur la même vague, quand on a commencé à financer des tituchkis et autres. Tout cela continue
simplement.

– Vous parlez de vol… Quelle est la garantie qu’ils ne vont pas continuer de voler sous le nouveau gouvernement ? Croyez-vous vraiment qu’on ne vole pas en ce moment ou qu’on ne volera pas à l’avenir ?

– Au contraire. Je dis à tout le monde que ça continuera. Mais ce sera différent. Sous Ianoukovitch et Azarov, lorsque l’on évaluait les proportions des pots de vin, c’est comme si on parlait non pas d’un crime mais comme
d’aller au verger cueillir des pommes. Autrement dit, le vol est devenu une chose normale.

Alors, le vol existera toujours. Mais en fait il y a une différence, selon qu’il vole en douce et se signe cent fois, ou bien qu’il vole ouvertement. S’il sait qu’il commet un crime et qu’il en a peur, tôt ou tard, nous le vaincrons. Et si c’est la norme des choses, on ne pourra pas le vaincre.

– Vous savez déjà ce que vous ferez après la guerre ?

– Tout d’abord je déposerai mon arme automatique. Je ne veux pas me battre. Parfois, je regarde tout ça et je me dis : quelle absurdité !… alors je laisserai le fusil et je m’occuperai de mes enfants. Mais ça sera après…

– Enfin une dernière question. Pourquoi votre appel est signé « Claudius» ?

– Là, (il se met à rire). C’est en l’honneur de ma mère, Claudia Tikhonovna.

Source: Pravda.com.ua

 

This entry was posted in French, Languages, Other languages, Pictures, War in Donbas and tagged . Bookmark the permalink.

Leave a comment

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.